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Extraits du 3eme roman

22 février 2009

Extrait 1

Chapitre 1

Sougueh se présenta devant le siège du citoyen, le quotidien dont il était un chroniqueur au zèle et à l’humour inégalable. Une bâtisse à la façade lie-de-vin. Les lanternes de la façade étaient éteintes ; les lettres dorées du citoyen étaient presque illisibles, noircis par l’humidité. Bien qu’il soit à peine dix huit heures, il remarqua que le soleil avait depuis un instant disparu derrière le rempart d’immeubles. La journée d’hiver passait comme un songe dans ces contrées-ci.

Il entra et se dirigea directement vers son bureau, au premier étage. Une chambre de neuf mètres carrés négligemment peinte, aux rideaux poussiéreux ; le ventilateur était mort de rouille, le néon sur lequel avait élu domicile une nuée d’araignées rugissait comme une centrale électrique vielle de plusieurs décennies. Des fois, refusant carrément de s’allumer, Sougueh lui tapait dessus avec la semelle de son soulier.

Son bureau comportait une table à l’âge indéfinissable sur laquelle somnolait un ordinateur dernier cri relié à une imprimante laser et une pile de classeurs. La chaise de couleur marron grinçait à ses moindres mouvements ; de temps en temps une vis s’en échappait et Sougueh le cherchait à quatre pattes sur le ciment sale.

Ce dénuement flagrant n’offusquait guère le journaliste qui regardait le monde d’un œil optimiste. Les difficultés les plus ardues n’étaient pour lui qu’une étape pour accéder à la perfection morale et l’épanouissement de la vie. Et cette pensée n’était en aucun cas dû à une faiblesse de caractère, c’était plutôt une conviction mûrie par la longue traversée du désert qu’il avait effectué sans parents, sans le sou, ayant pour seul compagnon l’espoir de réussite qui pointait timidement comme l’aube incertain.

De plus, il savait que le métier de journaliste n’était pas une machine à faire le sou. Pour le citoyen normal, le journaliste était un être louche, à la morale floue, un rapace enivré par les secrets d’autrui. S’il était journaliste, c’était par passion et non pour en tirer un quelconque honneur et encore moins pour s’enrichir. Il rêvait de ce métier depuis son enfance comme une fillette songe éperdument à une poupée. 

Durant huit années qu’il travaillait au quotidien le citoyen, Sougueh gavait les lecteurs de ses mots à peine voilés. Il était surtout lu pour son humour sarcastique qui lui attirait parfois quelques scandales fâcheux. Il s’était aussi imposé en défenseur des plus pauvres étalant au grand jour le faste immérité des certains.

Il n’avait jamais pu parler aux autres à cœur ouvert, aussi se servait-il de ses colonnes dans le journal pour passer sa vision des choses, sa révolte intérieure qui se faisait plus pressante. La mentalité qu’il s’était dotée au fil du temps lui permettait de sonder profondément le moral bas des souffrants et des mendiants en loques, l’humilité des sans-abri, la révolte sourde des chômeurs, les gémissements étouffés des pauvres, la joie expansive des riches …

Des heures durant, il écoutait les autres raconter leur vie, et cela le rendait tendre et cruel, querelleur et pondéré. Sa passion de fouiller dans le malheur latent de chacun s’affûtait, il plongeait instantanément dans les remous de la misère qui flagellait les esprits résignés, tantôt il prenait la partie des insurgés pour tout de suite changer de cap et de conviction. Il se voyait aimer les conversations où l’on cherchait des réponses à des énigmes inutiles mais qui avaient le bonheur tant éphémère d’entretenir en chacun une sensation d’égalité avec les autres.

Spontanément, il s’insérait dans les houles grossissantes du malheur sous jacent et d’une argumentation longue et rigoureuse il étalait au grand jour la souffrance qu’il y décelait. Sougueh cultivait cette sensation poignante de ne plus se courber devant la tragédie de l’émotivité funeste qui se mouvait furtivement derrière le drap triste de la folie superficielle de la vie citadine. Désormais il cherchait toute chose de la vie susceptible d’affermir en lui cette flamme frêle prête à s’éteindre avec le moindre souffle d’espoir faux.

***

Le journaliste était grand, svelte, les yeux d’un marron pollué, les cheveux d’un beau noir chatoyant. Assis derrière sa table, il tapotait nerveusement le clavier de son ordinateur. Il se pressait pour ne pas être en retard sur son rendez-vous avec son amie, Simane.

Ils s’étaient rencontrés un jour pluvieux de décembre tel qu’il n’en existait pas dans ce pays. Sougueh avait rendez-vous avec un jeune homme, étudiant en deuxième année de philosophie au PUD. Affamé d’écriture, fouineur invétéré des relations dans les hautes sphères, il lui apportait de temps en temps une feuille publiable. Ce jour là, il ne vint pas seul à la buvette soleil levant. Une jeune femme l’accompagnait, portant des gros classeurs à bout de bras. Il l’a présenta comme une camarade et pendant que lui et le jeune homme s’asseyaient à l’écart pour parler en toute intimité, la jeune femme resta debout à un coin d’ombre, jetant des furtifs regards dans leur direction.

Sougueh la revit deux mois plus tard dans un bus comble qui montait vers la périphérie de la ville : Balbala. Elle habitait à Balbala tout comme lui. Elle avait un visage ovale, des beaux yeux ornés des sourcils ténébreux, effilés qui se terminaient en arc brusque. Ses cheveux qu’elle laissait se balancer avec le vent étaient d’une onde pure, lisse et tombant en boucle jusqu’aux creux de ses reins. Son corps élancé, équilibré ne souffrait d’aucune imperfection. Plus que tout son teint clair fascina le journaliste.

L’amour qui naquit fut fervent. Chaque instant était une constante répétition de joie. Ils se téléphonaient pour se gaver des mots doux, ils se rencontraient rien que pour se voir, se toucher avec le bout des doigts. Et ils parlaient de l’avenir, de la vie qu’ils n’imaginaient qu’à deux.

Simane, en deuxième année de lettres modernes au PUD comprenait la passion de Sougueh pour son métier. Aussi ne manquait-elle pas de l’encourager, de glisser dans la discussion le mot qu’il fallait pour remonter le moral de son être chéri quand elle constatait un certain abattement sur son visage.

Deux ans déjà que l’idylle durait ; le temps avait passé sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Les examens de fin d’année les séparaient d’un heureux mariage et d’une vie paradisiaque.

Sougueh se dépêchait à mettre au point la longue tirade qu’il comptait publier dans le journal, le samedi, c’est-à-dire le surlendemain, tout en ayant un œil sur sa montre. Il ne devait pas rater le rendez-vous, surtout après cette semaine qu’il avait été très occupé par cette affaire. A chacun de ses coups de téléphone il avait failli céder, lâcher tout et courir vers elle. Il préférait écouter la douce voix de Simane, ou être là, à côté d’elle, dans le silence. Mais l’ampleur de l’affaire qu’il suivait lui faisait à chaque fois renoncer.

Sougueh tapa les derniers mots, pressa sur la touche imprimer et se leva prestement. Quand les feuilles furent dans ses mains, il les parcourut attentivement et un sourire méprisant éclaira fugitivement son visage fraîchement rasée.  Puis, il effaça toute trace du texte de son ordinateur et l’éteignit. Une chose pareille devrait être camouflée des regards indiscrets, surtout lorsqu’il savait que son bureau ne se fermait pas à clé.

Il prit une serviette, mit le texte dedans et sortit d’un pas rapide. Dans le couloir qui le menait à la sortie il remarqua que sa main qui tenait la serviette tremblait légèrement.

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